Le délire (1)
J'attends l’ascenseur les poings serrés cachés. Je ne dois pas sortir mes mains. On ne doit pas les voir. Je ne dois pas les voir. Cache tes mains. Elles disparaîtront. Personne ne pourra les voir. Se couper les mains. Tous nous couper les mains. Les mains parlent trop. Les mains jacassent comme des pies moqueuses. Je cache mes mains. Cache tes mains. Mes mains ses seins. Ferme les yeux, tu ne t'entendras plus. Ferme les yeux les rimes s'éteindront. Mes mains ses seins reins train trou rat rase écrase crasse race ! Cache tes mains, elle se taira. Tout le monde silence. Cache tes mains la bouche cousue.
La porte de l'ascenseur s'ouvre. Des blouses. Des femmes des hommes du monde. Je cache mes mains. On ne doit pas les voir. Pourvu qu'ils cachent leurs mains. Pourvu pourvu ! Mon cœur bat, les oreilles sifflent ce putain d'air à la con. Mon cœur bat comme un train trou rat rase écrase crasse race ! Je respire comme me l'a appris Mme P. Je respire, le train ralentit un peu et mes poumons retrouvent de l'air. Celui qui souffle pas celui qui siffle. Pas trop d'air sinon l'air revient siffler.
Je me suis glissée dans un coin de l'ascenseur. N'être dos à personne. Je dois voir ce qu'ils font. Je dois voir leurs mains. Au bout de quelques instants, je lève les yeux. Je vois les mains s'agiter. Je les entends chuchoter. Elles se parlent. Pas assez fort pour que je les comprenne. Je tends l'oreille mais non ce n'est pas une langue avec la langue. Je les vois faire signe, tracer dans les airs des arabesques et des géométries qui m'échappent. Les bouches parlent mais faussent. Elles masquent. Les mains transmettent le vrai message. Je ne perçois pas leurs ondes, je ne vois qu'un fouillis de gestes insensés. Mais eux les contrôlent. Ils s'envoient des secrets. Ils ont tous leurs mains en mouvement. Tous ensemble. Ils se comprennent. Vite, je ne peux pas suivre. Je suis perdue. Je suis la seule. Tous les autres ont les mains ouvertes, les doigts déliés. Ils dansent. C'est un cauchemar. Ils rient. Ils rient de moi. Les poings serrés cachés, je suis la seule. Tous mains ouvertes doigts déliés. Ils pianotent leur air. Celui qui siffle dans ma tête. Celui qui siffle dans ma tête ? Je ferme les yeux, je les vois encore à travers mes paupières. Je les vois jouer se jouer de moi et rire. Je suis l'étrangère. Je ne suis pas de leur espèce. Pas de leur race. Je reprends ma respiration. Mme P. est avec moi. Je la vois dans ma tête. Je vois son bureau. Je fais comme si j'y étais. Des mains surgissent flashent mais je respire et mes paupières opaquent.
Je rouvre les yeux. Quatre paire d'yeux interrogatifs sur moi. Je meurs. Je dois disparaître. Ils me regardent de plus belle. Leurs mains brandies sous leurs manches. Prêts à. Je veux sortir. Mon Dieu je dois sortir !
L'ascenseur s'arrête. Je marche droit à la sortie. Je dois sortir. J'entends derrière moi des mauvais mots. Des sifflements. Des grognements. J'imagine la méchante joie de leurs mains. Je marche pour ne pas exister. Je ne dois plus être là. Je dois disparaître. Je m'assois sur un banc. J'allume ma cigarette. Je regarde mes mains. Elles pleurent.
Délire : Perte du sens de la réalité se traduisant par un ensemble de convictions fausses, irrationnelles, auxquelles le sujet adhère de façon inébranlable.
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