À qui profite le symptôme ?
A qui profite le crime ? La plupart du temps, il est malaisé de le définir. Il faut en passer par les chemins tortueux de l'enquête pour venir à bout des tenants et aboutissants du passage à l'acte. Pas toujours me direz-vous. En effet, le mobile est parfois clair et net. Le criminel avoue et se rend. Mais bien souvent, cela est loin d'être suffisant. Des secrets, étranges relations, des mots, des souvenirs agissent de toutes parts enracinés dans les êtres qui gravitent autour du méfait.
Le symptôme n'est pas toujours un crime. Il peut l'être oui. Il peut surtout être considéré comme tel par les proches de celle celui qui en souffre. En tout cas, pour sûr, il est un cri.
Ce que l'on entend, ce que l'on voit, ce qui ne peut s'éviter. Le symptôme gêne, dérange l'ordre des choses, prend la place, s'étend, harangue, joue au clown fantasque, furieux, fait rire puis grincer, on frise le frisson, on rit à nouveau mais pas seul. Le symptôme alarme, pimponne mais les pompiers bredouillent. Ils pansent, tamponnent. Ils oublient de penser. Sans pensée, le symptôme gonfle, pieuvre, engouffre et se rit des règles du jeu. Il n'a d'ennemi que le face à face et la provocation en duel. Il joue la peur. Il fait reculer. Il grogne, montre des crocs hargneux. Il finit par faire fuir le monde. Symptôme acide, fait table rase. On le hait. On le maudit.
Il est aussi pourtant ce qu'on oublie de ses comparses, la peur et de la douleur : un sursaut de vie, une alerte avant le danger irrémédiable. Il cogne comme un toqué mais jamais sans raison et toujours en Au secours. Le symptôme est un cri, aussi strident parfois qu'une sirène avertisseuse, qu'on remercie de sa bruyance. Il crie mais non sans langage. Son cri ou son murmure d'ailleurs, "son dire" comme écrit Freud, parlent une langue cryptée. Une langue sans aucun doute.
La langue de qui ?
Et à qui s'adresse-t-elle ?
La langue du corps, la langue de l'invisible. Aussi paradoxal qu'il y paraisse, le symptôme visible par essence parle l'idiome de l'invisible. La langue des sens. La langue de l'Histoire et de la société. Surtout la langue des siens, les plus proches, ceux qui l'entourent, langue bien au-delà de la langue commune et langue aux polysémies étourdissantes.
À qui parle donc le symptôme ? Vaste, très vaste question. À qui veut l'entendre bien entendu. Mais qui peut l'entendre ? Sûrement pas tout un chacun. Le psychisme est un magicien. Tout comme le corps, il fonctionne au plus court, au plus simple en tenant compte des contraintes de sa grammaire. Parfois, les contraintes sont tellement complexes, nous Français en savons quelque chose, que le symptôme circonvolutionne longuement. Mais c'est bien pourtant le chemin le plus court qu'il aura choisi. Sans aucun doute possible. Qui plus est, il parle à ceux qui peuvent le voir, le sentir, ceux qui naviguent juste à côté. Il adopte le vocabulaire, le ton, la prosodie de ceux qui le côtoient. D'aucuns l'entendent tout de suite et les mots suffisent à les dénouer. La vie reprend son cours et le symptôme reste empreint comme un pleur qu'on a bercé à sa juste mesure. Mais parfois cette voix est si familière qu'elle passe inaperçue, tue à coups de muselière, qu'on la laisse comme un fond un peu agaçant et Chut ! de temps en temps. Alors, qu'à cela ne tienne, le symptôme prend des forces et se nourrit du silence qui l'entoure, du mépris qui lui est signifié. Il en use et redouble le mépris et l'indifférence. Celui qui ainsi croit le détourner n'en sera que mieux frappé en retour.
La question demeure entière : à qui profite ce fabuleux symptôme ?
À celle celui qui le porte bien sûr. Sans qu'elle il le sache parfois. Quoi qu'elle il en dise, il évite le pire. Il peut même faire un peu plaisir. Ou carrément faire rire. Il est imprévisible. Aussi insupportable soit-il, ce trouble-fête est plein d'espoir. C'est un tremplin, instable, trop haut, bondi, qui attend de chacun qu'il prenne le risque de s'impliquer.
Bien pratique parfois ce symptôme que l'on critique nuit et jour. Il joue le devant de la scène et le reste moins poli peut se lover sous le tapis. Il cache ce qui fait trop honte ou trop peur. Il exaspère mais occupe l'esprit. On le secoue et s'y énerve, on ne tape sur personne pendant ce temps-là. On s'en saisit et on en fait sa baguette sorcière. On sait qu'il effraie et éloigne les imposteurs. On tourbillonne et on danse avec ses rubans. Le soir en s'endormant, on sait que rien n'est fait, que le symptôme redira son poème demain. Mais il est un peu confortable, aussi. Douillet ? On ne l’admettra qu’avec la sagesse des années.
Et ceux qui, de l'extérieur, regardent ce ballet du symptôme et ses ailes, tapent du pied. Ou rient de bon coeur. S'en émeuvent. Tout le monde en profite pour cajoler. Où chacun pour soi se laisse en paix. La famille tourne autour de ce cri, ce chant, ce murmure. Chaque membre s’y accroche, adhère sur un côté un coin du drôle de truc. Personne ne manque de râler et se plaindre. Tout le monde pourtant y trouve son tour et sa place. Le symptôme organise la famille, lui donne une forme, un sens oui, voilà qui se peut. Celui qui porte le symptôme, l’enfant-symptôme dit-on parfois avec maladresse, qui peut aussi être un parent-symptôme, pourquoi pas ?, celle celui-là donc est un soleil et sa fratrie, ses parents, ses enfants font galaxie. Un autre peut jouer au combat de coq. Mais un seul soleil suffit en général. Une lune vient fréquemment lui donner la réplique. Les autres se tiennent droit. Ils n’ont pas tant besoin que cela d’en faire plus. L’autre dit tout. L’autre aussi mange l’espace. Le symptôme est un astre.
Le symptôme parle nous avons dit quelle langue certes. Mais d’où vient-elle ? La langue historique. Le symptôme dessine plusieurs générations, il s’est coloré, nuancé de parents en enfants depuis la nuit des temps. C’est le symptôme unique de cette galaxie-là. D’autres le partagent, les livres de psycho, psychiatrie en parlent. Mais dans cette famille-ci, cette époque-là et ce pays, il est le seul. Il se complaît il est vrai à cette singularité enivrante. Jusqu’à craindre le fou...puis trouve ses pairs et se rassure. Pas seul au monde, la guérison approche. Avant cela, il se targue de sa différence et peut même s’en pavaner. Avec ou sans conscience de son porteur. C’est un égocentrique invétéré. A juste titre : que ne faut-il pas pour se faire entendre ? Les timides et autres chuchoteurs n’obtiennent pas gain de cause. L’humain n’est pas si humaniste que cela. Il réagit aux coups, aux cris, multiples multipliés. Pas vraiment bien avant.
Le symptôme, clown gueulard bariolé gigoteur, met le feu au silence et tempête les mers d’huile. Il fait revivre l’individu qui se meurt et éveille ses gardiens endormis.
Symptôme : signe visible d'un trouble, d'une maladie
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