L'angoisse (2)
Je hais mon angoisse, je l'étriperais, je l'étranglerais, lui ferais la peau avec autant de plaisir que celui qu'elle semble prendre à me torturer. Je la hais plus que tout au monde. Elle peut faire de ma vie un enfer. Elle détruit. Elle anéantit parfois. Elle me tue à petits feux. Je la hais et ma colère ou ma rage, tout dépend de l'énergie qu'il me reste après son passage, voudrait la supplicier jusqu'à absolue disparition. Même plus de cendres. Même plus un grain d'une quelconque poussière.
Qui peut avec honnêteté ne pas se dire amer, furieux et exaspéré par son angoisse ?
Pourtant, certaines rencontres et la vie permettent de faire de mon angoisse une autre que celle que je hais. Je peux réussir à l'observer par l'autre bout de la lorgnette. Chaque fois, je sens que le chemin est dur pour retrouver cet autre regard. Chaque fois, il l'est de moins en moins. Le temps est ici mon ami. Je dois m'y laisser bercer et il m'apaisera comme il sait le faire quand je ne me bats contre sa montre.
Mon angoisse m'appartient.
Mon angoisse est une partie de moi.
Elle a un sens.
Elle hurle un langage crypté.
Elle m'envoie un message.
A moi de m'en saisir au vol.
Elle reviendra jusqu'à ce que j'ai compris sa voix.
Je sens que mon angoisse est indomptable. Elle me dépasse de tous côtés et en tous sens. Elle me broie. Elle se dresse devant et au-dessus de moi. Elle Ouvre grand son énorme bouche noire dévoreuse. Mais comme tous les méchants, elle est une grande prestidigitatrice. Elle joue le délire. Elle fait croire à la folie. Et j'y crois oui. Mais je ne dois pas me laisser entraîner dans l'illusion. C'est un spectacle qu'elle se doit de jouer et dont elle la simple actrice. En aucun cas l'autrice. Alors, sachant qu'elle aussi n'est qu'une petite main, elle me fait déjà moins peur. Je sais qu'elle est la fumée et que le feu se cache derrière tout au fond de mon esprit. Qu'elle crie en son nom sans jamais le prononcer. Elle n'en pas le droit. Elle est liée elle aussi par le sceau du secret. Peut-être secret professionnel. Elle doit s'y tenir ferme en tous les cas.
Alors, je peux maintenant sentir que ce qui m'enserre et me menace n'est pas indomptable comme il y paraît. Je sais que je peux de mes mains repousser les pinces autour de ma poitrine et gravir le mur-montagne. J'étais sûre de mon impuissance. C'est un tour de magie, un truc. Je suis capable.
Il m'a fallu encore et encore suffoquer et me sentir crever. Il m'a fallu me sentir imperceptible insecte. J'ai dû souvent omettre ma dignité. Seule la survie était en jeu. A force d'habitude, d'apprentissage, d'introspection et de discussions, voilà qu'en effet, l'angoisse est n de mes animaux domestiques. Facile ? Rapide ? Honte à ceux qui continuent de dire : "C'est une question de volonté." Leur bêtise dépasse celle des plus simples. Mais dompter l'angoisse est possible.
Surtout si l'on jette sur elle un œil neuf et pragmatique. Encore faut-il y être prêt. le moment vient. Mais je bénis ceux qui à force de répétitions, m'ont convaincue de l'utilité de mon angoisse. Elle ne m'est plus alors apparue comme une excroissance déformante, n handicap sans appel. Je l'ai réintroduite dans mon être, auquel elle à toujours appartenu sans que je veuille le croire.
L'angoisse est animale. Non pas primitive au sens péjoratif et dédaigneux du terme. Elle est animale au sens vital du terme. Elle est une de nos fonctions de survie. Elle nous sauve, bien souvent de pires maux. (Je mets ici un large bémol : pas d'histoires d'angoisses notamment psychotiques tellement violentes qu'elles peuvent mener à la destruction. Je parle des angoisses violentes, extrêmement violentes oui, mais qui ne rendent pas encore réellement fou.) L'angoisse flaire, à pattes de velours, sort les crocs, sonde, se tapit, a des fulgurances de chasseuse ou des sommeils infinis, elle a son rythme et ses habitudes. Elle est notre animal intérieur. Elle est l'un de nos animaux intérieurs.
Mon angoisse m'alarme. Elle me casse les tympans. Elle me brûle les rétines. Elle me coupe les jambes. Je m'en roulerais à terre. Elle n'en a pas moins une fonction d'alerte. Elle claironne un danger. Elle me prévient. Elle me signifie que je dois reculer, que je dois me protéger, me terrer, m'abriter. Que je dois retrouver mon refuge et me barricader.
De fait, elle me protège. hystérique, électrique, immense, démesurée, ridicule, mais elle a pour fonction de me protéger aussi folle paraisse-t-elle. Elle se prend à son propre jeu. Elle se met à y croire. Elle se mord la queue. En cycle infernal. N'allons pas la plaindre. Mais si ! Peut-être qu'elle est la part de nous, ce petit bébé ou enfant effrayé qui n'a aucun moyen de se défendre, qui doit seulement attendre que le danger s'éloigne ou finisse.
Alors souvent je me suis dit que ce cirque était insupportable et que je n'avais pas choisi d'être une diva de tragédie. Mais le danger n'est pas irréel. On m'a souvent dit, hormis ce "c'est une question de volonté", "ce 'est pas réel". Le jeu, les cris ne sont pas réels. Ils sont spectacle. Ils sont magie psychique. Sans doute. Mais le théâtre derrière ses parures parle toujours d'une réalité. Ce sur quoi l'angoisse alarme est un danger qui existe bel et bien. Il est concret. Il est psychique. Il se voit ou ne se voit pas. Il n'est en aucun cas une vue de l'esprit.
Alors allons chercher, angoissés, le feu qui fume l'angoisse et son théâtre criard. Elle cessera ses folies quand le danger aura été pointé du doigt loin tout au fond du corps et son esprit, enfoui pour contrer la douleur.
Angoisse :
Sentiment pénible d'alerte psychique et de mobilisation somatique devant une menace ou un danger indéterminés et se manifestant par des symptômes neurovégétatifs caractéristiques (spasmes, sudation, dyspnée, accélération du rythme cardiaque, vertiges, etc.).
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